lundi, septembre 20, 2010

Joué les tours 2010 : Un but, une mission : se faire péter le caisson

Le temps est clair, une très faible brise balaie l’étendue d’eau devant moi. Je vois Franck au loin qui s’approche, chevauchant son décathlon titane luisant de mille reflets en ce dernier jour d’été.
Il s’arrête à ma hauteur, je suis immobile. J’attends qu’il me parle. Les Sébastien Becker, Pierre Le Noach et consorts ne m’impressionnent guère (je n’aurai pas l’occasion de les voir sauf s’ils me prennent un tour), leur plastique parfaite ne leur permet pas de comprendre ce qu’est la souffrance sur un triathlon sprint. Par contre, même si je sens sommeiller en Franck l’ancien athlète de haut niveau, je peux percevoir chez lui quelques signes extérieurs qui nous rapprochent. Meilleur nageur et coureur que moi, la passe d’arme risque d’être terrible.
Il brise le silence d’un violent éternuement suivi d’un long reniflement qui me fait sonder le puissant volume thoracique de l’athlète présent devant moi.
« J’ai encore la crève » me dit il. Je compatis quelques instants mais me tient sur mes gardes. Une bête blessée reste dangereuse.
Quelques instants passent, le temps de positionner notre petit bordel dans le parc, d’enfiler nos combis (gggnnniiiiiiiii… dis franck, ça rétrécirait pas le néoprène dans l’eau douce ? Non ? T’es sûr ?) et d’écouter le briefing (ssccrriiiiiii alors deux min-crack-clllonnngggg-zziiiiiiiii-d’attention messieurs bbbbrrouhahaha…..), nous nous dirigeons d’un pas léger sur les cailloux vers le lac.
Pour la première fois depuis de longues années (en fait, pour la première fois tout court lors d’un tri) : je m’échauffe ! La vieillesse sans doute.
Après quelques minutes d’1-2-3 soleil avec les arbitres… on aavvaannncceee, l’arbitre arrive : on reccullllleeeeeeee, pis dès qu’il a le dos tourné on avvaaannncceeeee, zut on s’est fait capté… on recculllleeeeee, etc…
C’est le top départ !
La stratégie est claire : YYEEEAAAHHHHHHH !!!! A BLLLOCCCCCC !!!!!!
J’aimerai pouvoir dire : je m’extrais de la masse en mettant un peu de rythme juste avant de poser ma nage pour prendre la tête du premier groupe…. Mais la vérité est que je mouline comme un malade pour tenter de ne pas me prendre une mine par le 5ème groupe… Appuis zéro, tête relevée, et après 3 manchettes et 2 coups de pieds en pleine tête, un verre de lunette à moitié rempli d’eau et en pleine hyperventilation je décide de tenter de faire plus de 3 mouvements sans relever la tête…
La première bouée est passée et je vois plein de bras devant, ce qui signifie que je suis à la ramasse. La honte n’ayant jamais, pour le moment, tué personne, je continue à me débattre comme un noyé en tentant de chopper les pieds de tout ce qui se trouve dans les environs. Il me semble vaguement que je me stabilise… je ne vois pas de bouée devant mais comme on est plusieurs à aller au même endroit je suis…
Seconde bouée, et retour vers la plage… je tente de bouger frénétiquement les jambes pour « réactiver la circulation sanguine » dit on dans les belles revues triathlétiques mais mon palpitant me signale que ma circulation sanguine est à 2 doigts de me faire péter l’anévrisme et qu’il est incapable d’assumer une quelconque dépense énergétique supplémentaire. Je jaillis sur le bord tel un orque sur un phoque, la foule m’acclame, ou plutôt je vois ma petiote sur le bord qui crie « aller papa », ce qui me force crânement à faire celui qui est « facile » et qui « court vite ». Là je me dis que c’est con un homme… Mon corps acquiesse.
Un miracle se produit alors : je fais une « bonne transition », c'est-à-dire que : je cours vraiment, j’enlève tout le haut de ma combi sans me luxer une épaule en cherchant le petit bandeau qui se barre tout le temps, je réussis à retirer mes pieds sans les mains J tout en mettant mes lunettes et mon casque, bref, j’en ai des frissons (peut être ai-je confondu avec un début de convulsions…). Je sors du parc, saute sur le felt, et je pars à bloc… j’enfile mes chaussures sans trop galérer dans la première descente, puis on aborde la côte de l’épan à un bon petit 12%... passage du 53*11 à un plus raisonnable 34*23 et… je me fais doubler par un avion… Le temps semble suspendre son vol, j’hésite entre la crise de larme (c’est les nerfs) et un paquet d’1kgs de M&M’S (c’est anti dépresseur) pendant quelques instants, avant d’opter pour la seule pensée digne et rationnelle dans un tel moment « c’est un relais, il est tout frais, je suis sûr qu’il ne sait même pas nager d’abord ».
Je double quelques quidams avant de fondre au hasard d’un faux plat montant sur Franck qui, malgré son dopage aspirine-doliprane-dolirhume n’a pu contenir ma technique du « moulin infernal » en natation pour me prendre les 2’ habituelles.
J’hyperventile juste avant de le passer afin d’avoir assez de réserves d’oxygène pour esquisser un sourire faussement détendu et briser ainsi toute tentative de sa part pour s’accrocher à mes mollets hypertrophiés (par l’amorce de crampe).
Ca a l’air de marcher… je prends 300m pour m’en remettre et je décide de me recroqueviller sur mon felt toute la fin du premier tour puisque c’est « plat » et que j’aurais mieux fait de monter un prolongateur (dans l’action cette phrase est formulée dans un langage plus imagé et fleuri). Heureusement j’ai mes cosmics SL, l’honneur est sauf.
Fin du premier tour, je souris à mes supporters, nombreux (3), avant le rond point et j’enquille pour un second tour où je sens que je suis méchamment à bloc de chez à bloc et que 3 tours, même de moins de 6kms… c’est long. Je ne double presque plus personne, mais comme personne ne me rattrape je me dis qu’à priori j’ai du faire une natation pas trop pourrie et que je fais pour le moment un vélo du même acabit.
Fin du second tour, moins chargé littéralement que le premier mais le manque d’oxygènation du cerveau a une fâcheuse tendance à provoquer la destruction des cellules cérébrales et empêcher de fixer les souvenirs. Par contre la douleur, je le confirme, n’est pas une information cérébrale.
Dernier tour donc… je suis toujours tellement au taquet que ça en devient monotone (mytho ?)… je pense au récit d’une triathlète pro qui racontait, sur l’Ironman d’hawaï se donner du courage en faisant du « fractionné » sur le marathon : 10’ rapide puis 10’ plus lent… je détecte à temps une tentative de mon subconscient d’immiscer en moi l’idée d’un petit relâchement et je me mets donc minable pendant encore 5 bonnes minutes, soit pas loin de 300 SECONDES en ayant la maigre satisfaction de passer première féminine dans l’intervalle…
Arrivée à T2, mes jambes sont étonnées de passer d’un travail musculaire exclusivement concentrique en travail excentrique… les 15s de pause (un record) le temps d’accrocher le vélo et enfiler les chaussures leurs laissent penser que ce n’était qu’une lubie fortuite (un demi pléonasme ne coûte rien, une lubie étant généralement fortuite). Malheureusement pour elles, ça repart… En compagnie de 3 autres paires de jambes qui me suivent de prêt. Certaines me devancent maintenant. Bientôt j’en reconnais une paire plus féminine qui me passe, puis je double 2 autres jambes, une droite et une gauche me semble t il. Une seconde paire de jambes élancée, que je juge également féminine, me passe plus prestement. Elles semblent revenir sur la première paire qui me paraissait un peu moins véloce. Je la vois couper dans l’herbe un serpentin de route. Je la râle (la bêler ou la héler m’étant impossible). Bref. Je vois moins de jambes maintenant. Par contre les miennes apprécieraient grandement que je les laisse en paix. Fin du premier tour en 10’09, et malgré l’allure qui se maintient je suis vraiment dans le dur durant un bon km. La satisfaction de ne pas m’être fait prendre 1 tour par les premiers ne suffit pas. Une grande paire de jambe en profite traîtreusement pour me doubler prestement sur le pont. Je tente de réconforter le peu d’orgueil qui me reste en essayant de m’évoquer à moi-même dans un souffle de pensée le mot « relais », mais je n’y arrive qu’à demi mot. Puis l’effort paraît curieusement un peu moins dur… serais je prêt du grand voyage ? Mon heure arriverait elle ? je souffle comme un âne, mes bras s’agitent, mes jambes tricotent, je déguste sévère mais ça va imperceptiblement mieux. Mon corps abdiquerait il à me signaler son désarroi? Alors du coup… j’essaie de pousser encore un peu, le temps de… non… si…. Doubler une paire de jambe qui en est à son second tour ! Dernier km… Pas de paires de jambes à l’horizon. Encore 100m que mes jambes savourent. Petit virage à gauche et ça y est. Je manque de heurter le speaker qui en reste micro bé (ce n’était ni la première ni la dernière fois d’ailleurs semble t il).
Mes jambes me demandent « Et alors ? ».
Je leur réponds : « Ben rien, c’est tout »

Franck arrive quelques minutes plus tard, blessé dans sa chair (contracture au mollet) et dans son corps (gros rhume suite au courant d’air lorsque je l’ai passé me dit il).

On fait la belle au marathon de la rochelle ?

Classement individuel (hors relais) : 20ème/217
Nat : 11’54
T1 : 1’18
Vélo : 29’59 (moins de 30’, c’est pas du timing ça !)
T2 : 33s
Cap : 20’16

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Un régal de compte rendu !!! Je me suis bien marré !!!
Gégé

Antoine a dit…

merci grand sage!

Anonyme a dit…

Enorme ce récit!
On a l'impression d'y être.
Bon courage pour la Rochelle.
Romain (modeste néo triathlète qui s'imagine réaliser tes perfs')